J’ai grandi dans un univers particulier, presque uniquement féminin, avec la force de ma mère comme pilier principal. Les hommes autour n’étaient guère présents, et ils ne faisaient pas grand chose de plus que sauter ma mère, se moquer de moi et partir. Je ne parlerais même pas de mon père, qui n’a même pas eu le courage de m’assumer.
Ma mère m’a éduquée selon un précepte d’indépendance. L’autonomie avant tout, savoir se débrouiller toute seule, étaient ses mots d’ordre. Son précepte. Elle m’a donné des armes, tout le temps, à longueur d’éducation, pour que mon sexe ne soit pas un problème. Ma mère m’a appris très tôt que si sur le papier hommes et femmes étaient égaux, dans les faits ce n’était pas tout à fait le cas.
Pourtant je n’avais jamais vraiment ressenti ça. Pendant mon adolescence, je disais même que je n’étais pas féministe, que les luttes pour les droits des femmes ce n’était plus que de la poudre aux yeux. Qu’on avait la pilule, l’avortement et le droit de travailler, et que je ne voyais pas bien pour quoi d’autre on devait se battre. J’avais cette idée un peu vague des fameuses violences faites aux femmes, et comme beaucoup d’observateurs extérieurs de la question, je me disais que, quand même, cette femme qui restait avec son mari violent, elle n’avait qu’à se sortir les doigts du cul et bouger. Qu’au fond, elle méritait son malheur parce qu’elle n’avait pas le courage d’en sortir, de fuir. Je n’ai toutefois jamais pensé qu’une fille violée l’avait cherché, quelle que soit sa tenue, l’heure de ses sorties ou son attitude avec les hommes. Parce que ce pan là, le fait qu’une femme possède son corps au même titre que n’importe quel autre être humain, ma mère me l’avait inculqué.
J’ai souvent reproché à Florian son approche très distante du féminisme. Il se positionne la plupart du temps en disant qu’il ne peut répondre aux questions du féminisme parce qu’il est un homme. Je ne comprenais pas, je pensais que c’était une facilité, un choix politique de sa part qui consistait à dire « je ne prends pas position parce que je ne veux pas qu’on me le reproche, parce que j’ai un discours de dominant. »
La domination masculine, cette grande ennemie, cette grande inconnue. A l’époque en tout cas. Où trouve-t-on la domination masculine quand on est élevée par une femme si forte, si seule, et si indépendante ? Où trouve-t-on, où constate-t-on la domination masculine quand on voit sa mère, 1m60, 40 kilos, se dresser devant un mastodonte et le traiter de connard ?
Pour moi la domination masculine, on la choisissait. On se laissait happer. On se laissait dominer. Pour des raisons diverses, d ‘éducation, de milieu, mais ce n’était à mes yeux pas une chose exempte de la volonté. Ce n’était pas quelque chose qu’on subissait.
Et puis il y a eu cette histoire-là. Cette histoire d’amour, enfin je crois que c’était de l’amour. Au final je ne sais plus trop. Le genre d’histoire que tu ne vois que dans les films, avec un amant rêvé qui arrive sur son cheval blanc et ne vit plus que pour toi. Qui fait de toi le centre de sa vie.
Et c’est à partir de là que ça dérape. Insidieusement, doucement. Il te fait comprendre que tes jupes sont trop courtes pour que tu les portes en son absence. Que les décolletés à la fac c’est moyen, parce que ces seins là, tu n’es sensée les montrer qu’à lui. Et tant qu’à faire, il faudrait que tu cesses de voir tous tes amis, parce que c’est évident, les hommes qui t’entourent en dehors de lui, ils ne sont là que pour coucher avec toi. Et un jour ils t’auront, parce que tu comprends, ce n’est pas qu’il n’a pas confiance en toi, c’est qu’il n’a pas confiance en eux, et qu’à force d’être là peut être que tu changeras d’avis sur leur place dans ta vie.
Parce que c’est bien connu, une femme ne se maîtrise pas. Une femme ne rationalise pas, elle se laisse porter par ses émotions. Les femmes c’est toutes des salopes de toutes façons.
Et ça, c’est la raison pour laquelle il te dit qu’il est en droit de lire les messages que tu reçois sur ton téléphone, sur ton facebook, dans ta boite mail, et que tu devrais lui dire qui t’appelle à chaque fois que tu reçois un coup de fil. C’est la raison pour laquelle devant ton refus de livrer toutes ces informations, il va fouiller dans ton téléphone quand tu ne peux pas le voir. La raison pour laquelle il se pense autorisé à lire tes cahiers personnels, tes notes à toi, à regarder toutes tes photos. Ton intimité lui appartient, en tout cas c’est comme ça qu’il voit les choses.
Parce que c’est bien connu, une femme, quand elle aime un homme, elle lui donne tout, en long, en large, et en travers. Une femme n’a pas de limites, pas de pudeur, tant que tu l’aimes. Une femme qui a des secrets, de toutes façons c’est une salope qui te la met à l’envers.
Pour ce qui est du sexe, là encore tu as tout faux. Tu pensais que dans un couple on fait l’amour quand on en a envie, qu’il n’y a pas d’obligation. Faux, archi faux. Il te dit que le sexe est un dû, que c’est son droit, puisque vous êtes ensemble, et que quand tu n’en as pas envie, tu pourrais quand même te forcer. Et puis, comme ton corps est à lui, il se permet, tout le temps, à n’importe quel moment, de te toucher, partout, même et surtout quand ça n’est pas le moment.
Parce que c’est bien connu, une femme bien qui aime vraiment son compagnon, elle ne pose jamais de limites sur son corps. Donné une fois, donné toujours. Quant à sa libido, ça n’est pas la question, la libido, l’envie, le désir, tout ça ce sont des trucs d’hommes. Les femmes n’y connaissent rien.
C’est comme les études. Tes sciences politiques là, c’est bien joli, mais la sociologie, les études de genre, la théorie politique, c’est de la merde. Ça ne sert à rien. D’ailleurs il ne voit pas pourquoi tu fais des études dans l’absolu tu n’en as pas besoin, il sera là, toujours, pour veiller sur toi. Ton indépendance c’est du flan.
Tout ça peut paraître terriblement caricatural, mais c’est du 100 % vrai. C’est comme ça que je l’ai vécu. Ce mélange de harcèlement moral et sexuel, dans mon couple, dans mon histoire d’amour.
Attention, mon propos ne vise pas à dire que j’ai rencontré un con, et que je suis devenue féministe. Je ne suis pas là non plus pour vomir mon ex. Je suis intimement persuadée que tous ses comportements, toutes ses dérives vis à vis de moi ne sont que le fait d’un ordre normatif. Un état des choses qui font qu’on en arrive à forcer sa copine à baiser et à lui nier toute propriété de son corps et de son avenir.
Ce qu’a changé cette histoire, c’est mon point de vue, au final. Mon point de vue sur les choses, sur les violences faites aux femmes. Sur le féminisme. Pour la première fois de ma vie, j’ai ressenti ce que pouvait contenir la domination masculine, dans une certaine mesure.
J’ai aussi compris que c’est une domination qu’on ne choisit pas. Qu’on ne choisit jamais les dominations. Que la volonté, le courage, l’intelligence n’ont rien à voir avec ça. C’est plus simple d’être émancipée quand tu as de l’argent, ou de l’éducation, mais ça ne veut pas dire que tu ne subis pas la domination. La domination c’est un ordre des choses, et j’aimerais bien participer à changer tout ça.
La pilule, l’avortement, le droit au travail, ce sont déjà de bonnes choses. Mais ça n’est pas suffisant. Ça ne fait pas de moi l’égale des hommes. Juste parce que je suis née avec un vagin. On me refuse une liberté, une égalité à laquelle j’estime avoir droit. Que j’aurais préféré ne pas avoir à revendiquer.
Je suis coutumière des combats que la masse estime futiles. Ça ne me fait pas peur, ça ne m’a jamais fait peur. Je suis nouvellement arrivée dans cette lutte, alors je suis encore un peu perdue. Je cherche mes marques. Mais si je ne sais pas encore exactement ce que je veux, je sais absolument ce que je ne veux pas. Et je me battrais pour ça, pour nous tous et toutes.
Parce que comme elle le dit si bien : « Je n’ai pas à me justifier d’avoir un vagin, je suis née avec. Et si moi j’ai réussi à me faire à l’idée, le reste du monde a intérêt à s’y faire également. »
See you around, my love.
Musique :
Volo, Blancs manteaux à Volo
Alicia Keys, As I am
Oasis, The Masterplan